Asma DRISSI Publié dans La Presse de Tunisie le 15 – 10 – 2014
Cet animal mythique n’est pas qu’une simple monture, c’est un compagnon d’armes et de vie et un magnifique acteur
Il y avait comme un air de fête samedi soir dans la ville d’El Jem, une effervescence qu’on connaissait rarement dans cette prestigieuse cité du centre du pays, en dehors des soirées estivales de musique classique qui égayaient un tant soit peu la morosité ambiante.
« La nuit du cheval», un spectacle son et lumière et de chorégraphie équestre, allait avoir lieu au Colisée d’El Jem. C’est une soirée qui vient clôturer tout un travail réalisé en amont pour la sauvegarde de tout un savoir-faire relatif à la création des selles et des différents apparats du cheval, en plus de l’art de la cavalerie traditionnelle devenu rare sous nos cieux.
D’ailleurs, le site était de toute beauté, le public était déjà sur place bien avant l’heure du spectacle pour découvrir l’exposition de selles traditionnelles entièrement faites à la main, un savoir-faire ancestral qui illustre une des plus belles facettes de notre patrimoine immatériel et assister à la cérémonie de remise des prix et trophées aux lauréats de la formation de l’Usic.
En fait, ce n’était pas un simple spectacle et un divertissement pur et simple, mais toute une journée équestre organisée par l’Usic (Union syndicale interprofessionnelle du cheval), consacrée au cheval tunisien et à l’ensemble du patrimoine agro-culturel et artisanal qui lui est rattaché. Au cours de cette cérémonie, plusieurs récompenses et divers trophées, symboles de notre histoire et de notre culture — selles, harnachements et habits traditionnels —, ont été remis aux cavaliers par les personnalités présentes avant de passer à « Dhafra we Sbiba», premier spectacle équestre son et lumière organisé en Tunisie, animé par les jeunes sélectionnés qui ont réussi leur formation et par plusieurs cavalières classiques.
Ce projet est entièrement réalisé par l’Union syndicale interprofessionnelle du cheval, dans le cadre de son programme de soutien à l’équitation traditionnelle et aux métiers qui lui sont rattachés, un projet qui a trouvé écho auprès du ministère de la Culture qui s’active, depuis un moment, dans la promotion du patrimoine immatériel. Et c’est avec ce dernier que le projet a pu voir le jour, et le public venu de Tunis et d’ailleurs a pu apprécier un spectacle complet de son, de lumière et de belles figures acrobatiques réalisées par des chevaliers hors pair.
Le spectacle s’ouvre avec l’hymne national tunisien porté par la belle voix lyrique de la jeune soprano Amel Sediri tout de blanc vêtue. Tout de suite après, place aux cavaliers et aux arts de la cavalerie.
Le spectacle conçu et réalisé par Trad Ben Gobrane et mené par Manuel Bernard, figure internationale du spectacle équestre, suit un fil conducteur, celui du conte, de la poésie et de la légende fondatrice des civilisations. Le spectacle raconte l’histoire de la Tunisie à partir du cheval et de cette relation fusionnelle qu’ont connue au fil du temps les protagonistes de notre histoire avec ce cheval qui n’est pas qu’une simple monture mais un compagnon de vie et d’armes. Cinq tableaux ont illustré, tour à tour, ce spectacle : le premier consacré à Elyssa, la fondatrice de Carthage, le deuxième à la transmission entre les trois femmes qui ont créé les plus belles légendes, à savoir Elyssa, El Kahéna et El Jazia El Hilalya, le 3e tableau illustre les 7 « Abadila » de la conquête musulmane de l’Afrique du Nord, le 4e est un hommage à la Jazia et le dernier, une célébration de Saliha qui, dans son répertoire, a chanté à plusieurs reprises cet univers équestre et qui était elle aussi, paraît-il, cavalière ; c’est aussi un rappel du centenaire de la naissance de Saliha que nous célébrons cette année.
Ces tableaux sont ponctués de séquences vidéo réalisées avec soin, retraçant une longue et belle histoire d’amour avec le cheval et de poèmes signés Béchir Abdeladhim.
Une heure et demie durant, les tableaux se sont enchaînés avec une place de choix aux fantasias spectaculaires menées avec brio par des cavaliers et cavalières venus des quatre coins de la Tunisie, munis de fusils à poudre noire et chevauchant des montures richement harnachées, les cavaliers simulent une charge de cavalerie dont l’apothéose est le tir coordonné d’une salve de leurs armes à feu. De belles prouesses alliant la grâce du geste à la difficulté de la figure.
Riche en émotions et pleine de passion, la nuit du cheval fut un événement intense, loin de toute forme d’événementiel tape-à-l’œil, du bling-bling sans lendemain, cette initiative ravive la mémoire collective, dépoussière un patrimoine et installe un autre regard sur notre richesse culturelle. A l’année prochaine, nous l’espérons.
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